dimanche 8 avril 2018

Souvenirs (Vie en diaspora)

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27 juillet 2012
Chez mon oncle Zaven

Tante Christine à gauche, oncle Zaven à droite
 Clara et Mathilde leurs cousines germaines


ZAVEN 

Il était frère de mon père, mon oncle donc. Je me souviens de lui comme d'un jeune homme plein de gentillesse, de douceur et d'humour - ce qui, quand j'y songe, était les caractéristiques de tous les membres de notre famille : nous étions des "gentils" ; aucun d'entre eux n'aurait pu faire de mal à qui que ce soit ; et, lorsqu'on ne fait de mal à personne, c'est très souvent à vous que l'on peut en faire ; la gentillesse rend vulnérable, je le crois vraiment. Dans nos sociétés, les personnalités arrogantes, teigneuses, se défendent beaucoup mieux contre ceux qui tenteraient de les faire souffrir.

Je me souviens de lui donc comme d'un garçon sportif, car il s'adonnait à la boxe et je le voyais souvent faire ses exercices de musculation, suspendu à des anneaux fixés au plafond d'une sorte de renfoncement du sous-sol, de plain-pied avec le jardin. Sinon, il lisait, allongé sur le lit ou restait silencieux, plongé dans ses pensées.

Puis, on le maria. A l'arménienne - entendez par là, que sa "promise" avait fait l'objet de tractations de famille à famille ; il ne l'avait pas choisie, elle non plus. Ce fut pour eux, un mariage malheureux. Elle ne put supporter la vie médiocre qu'il lui offrait et qu'elle lui reprocha ; où était la place des sentiments dans leur union ? s'étaient-ils aimés ? Lui sans doute, mais elle ? Ils eurent deux enfants avant de se séparer. Elle partit avec eux et lui ne les revit plus. Sa souffrance le conduisit à une longue dépression. Les soins que la médecine de l'époque prodiguait pour traiter ce genre d'affections se résumaient le plus souvent à des électro-chocs dont il revenait complètement anéanti. Il se renferma davantage encore et la famille pensa que l'air de la campagne lui conviendrait mieux. Il se rendit à Crémieu, petite ville proche de Lyon, où il s'installa, dans un petit appartement très sombre situé aux rez-de-chaussée d'une vieille maison de village. Il se fit cordonnier pour assurer son existence à jamais solitaire désormais. Il devint mystique. Puis il trouva une petite maison, un peu plus spacieuse, au fond du village comptant quelques maisons, à proximité d'un hospice et d'un sentier qui s'enfonçait dans la campagne.
Je me souviens avec émotion d'un séjour que je fis chez lui, enfant, et de péripéties que je connus durant un mois de vacances d'été.

Les années passèrent, sans beaucoup de relations avec lui, si ce n'est cette année-là où nous fîmes un crochet par Crémieu pour le voir, avec nos enfants qu'il ne connaissait pas, et où nous l'entraînames pour un déjeuner dans un petit restaurant de la ville.

Des années s'écoulèrent encore. Je prenais de ses nouvelles auprès de l'un ou de l'autre des membres de la famille qui gardaient des liens avec lui.
Il vieillissait et survivait dans la foi.

Le dernier membre de notre famille, mon oncle Joseph, qui vient de s'éteindre, était celui avec lequel j'avais gardé des relations suivies : appels téléphoniques ou cartes de voeux ... Il m'annonça un jour que Zaven, âgé alors de 82 ans, avait disparu ... On savait seulement qu'il était parti se promener dans les bois pour ramasser des champignons et qu'il n'était pas rentré chez lui. L'enquête entreprise pour le retrouver fut sans résultat.

Est-ce ainsi que les hommes ...?

Cette année-là, mes parents m'avaient confiée pour les vacances, à mon oncle Zaven qui habitait Crémieu, une petite commune encore très champêtre à cette époque, située à 35 kilomètres de Lyon. Son marché à l'architecture médiévale, ses petites ruelles bordées d'habitations anciennes, ses chemins de terre conduisant vers les champs, la campagne toute proche, lui conféraient un charme d'antan que la modernité émancipatrice n'avait pas encore rompu.

Mon oncle, rescapé d'un divorce douloureux, occupait seul une petite maison située au fond du village, et dont l'ameublement était réduit à sa plus simple expression. Il y vivait très chichement de son métier de cordonnier.

L'enfance a le privilège, en général, d'être peu soucieux de ces détails domestiques. Un lit pour dormir, une table de cuisine pour les repas, suffisent à ses besoins. L'important était l'espace de liberté qu'offrait la campagne environnante toute proche, vers laquelle un sentier bordé de noyers conduisait. Le plus proche voisin de mon oncle était un Algérien, avec lequel il s'était lié d'amitié - la solitude rapproche. Je me rendais chez lui quelquefois, car il avait des revues où s'étalaient les photos de splendides femmes peu vêtues dans des poses compliquées qui piquaient ma curiosité !
Un peu plus loin encore, la coquette maison fleurie d'une jeune femme et de son petit garçon chez qui j'allais très souvent amusant la maîtresse des lieux de mes questions et de mes commentaires.
Complétant le noyau d'habitations de ce petit coin du monde, une maison occupée par une famille nombreuse - comme on disait - entendez par là, une ribambelle d'enfants de tous âges, misérables et loqueteux. Enfin, tout au fond, un hospice de vieillards dont on ne voyait jamais aucun membre , d'où le sentiment que j'éprouvais, d'un lieu où tous les pensionnaires devaient être très très vieux et malades.

Mon oncle était un homme jeune encore qui s'était reconstruit dans ce lieu paisible. Il était plein d'humour, la moquerie pointait souvent derrière ses remarques. Il faisait cuire des lentilles qu'on finissait par manger dès qu'elles avaient collé au fond de la casserole ! Il savait préparer du "helva" ou "halva", cette pâtisserie réalisée avec de la farine longuement mélangée au beurre, dans la poêle, mélange auquel venait s'ajouter un sirop sucré, puis une fois le sirop bien incorporé, on laissait refroidir la pâte obtenue dans une assiette, non sans avoir tracé à sa surface, en décoration, de petites vagues. J'adorais ce dessert qui fondait dans la bouche !

Je n'avais que sept ans mais mon oncle me laissait libre d'aller où bon me semblait. Tantôt chez Paul, un des enfants de la famille nombreuse, devenu mon compagnon de jeu ou chez la jeune femme et son petit garçon Jacquot, ou chez le voisin algérien.

Une nuit, nous fûmes réveillés par des cris provenant de la maison de Paul. Je me précipitai dans la cuisine dont la fenêtre donnait sur son jardin et l'aperçus s'enfuyant en pyjama sur le sentier. Mon oncle me dit sévèrement d'aller me recoucher. Mais tôt au matin, j'allai à la cuisine, à la
pêche aux nouvelles ! Mon oncle s'y trouvait déjà et pendant que je buvais mon bol de lait frais, je guettai avec impatience
les mouvements dans la maison de Paul. Enfin, il se montra.
Je l'appelai aussitôt. Dés qu'il entra dans la cuisine, n'en pouvant plus de curiosité, je posai la question qui me brûlait les lèvres : - Pourquoi tu courais cette nuit dans ...Je n'eus pas le temps de finir ma phrase que du revers de sa main, mon oncle me fit taire d'une lourde claque sur la bouche. Ce n'était pas dans ses habitudes et je ne compris pas la raison de cette punition qui me donna, longtemps, mauvaise conscience, car elle était restée sans explication.

J'allais quelquefois chez la maman du petit Jacquot. Elle bavardait avec moi me faisant part de ses problèmes - je me demande encore aujourd'hui comment la jeune enfant que j'étais pouvait inspirer ses confidences ?
Devant s'absenter quelques heures, elle me pria un jour, de surveiller son petit garçon. J'acceptai évidemment, fière de la confiance qu'elle me témoignait...

J'entraînai l'enfant dans un jeu inspiré des thèmes du "Far-west", en vogue dans les bandes dessinées d'alors, où s'affrontaient bons et méchants ; pistolet en mains, j'eus bien vite le dessus, Jacquot (il avait cinq ans) était mon prisonnier. Il était assis à mes pieds et - je ne saurai dire quel démon m'y poussa - mais une maligne envie de lui faire peur s'empara de moi et je lui dis que j'allais le tuer ... sans même qu'il revît sa mère ! Ma conscience a longtemps gardé l'image de ses yeux implorants tandis qu'il suppliait, au milieu de ses hoquets, en versant de grosses larmes "laisse-moi revoir ma maman". J'avais envie de le rassurer, vite, vite, en même temps que le désir de prolonger son supplice ! La pitié qu'il m'inspirait finit par prendre le dessus. Et je fus soulagée ... de le soulager, en lui disant : mais non, c'était pour rire !
Sauf qu'il n'avait pas ri du tout !

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