dimanche 8 octobre 2017

Les Histoires Inédites de Turquie : l’Ile Arménienne au milieu du Bosphore

Les Histoires Inédites de Turquie : l’Ile Arménienne au milieu du Bosphore

Vue de Constantinople et du Bosphore, par Ivan Aivazovsky - Huile sur toile, 1856 (Photo : Sothebys)

Ce qui rend Istanbul aussi belle, c’est le Bosphore, partageant la ville entre l’Europe et l’Asie. Et ce qui rend le Bosphore si beau, c’est un ensemble de palais, de demeures et de mosquées d’architecture magnifique.

Pour la plupart, ces chefs d’œuvre architecturaux des deux côtés du Bosphore, sont une création de la famille d’architectes arméniens, les Balyan. Cet article va expliquer l’histoire peu connue de la seule ile du Bosphore et de ses liens avec les Arméniens, avec les Balyan en particulier.

Quelques trois générations de Balyan ont servi les sultans ottomans aux 18ème et 19ème siècles, construisant une multitude de palais, de mosquées, de casernes d’écoles et de beffrois pour les Ottomans. Les Balyan ont construit également des églises, des écoles et des demeures pour les communautés arméniennes sur l’ensemble de l’empire, mais principalement à Istanbul, et spécifiquement le long du Bosphore.

Parmi les œuvres les plus marquantes des Balyan, il y a le Palais, la Mosquée et le Beffroi de Dolmahbace, le Palais Beylerbeyi, le Palais Ciragan (aujourd’hui hôtel de luxe), l’École militaire Kuleli (employé après la Première guerre mondiale comme orphelinat pour accueillir des milliers d’orphelins arméniens récupérés chez des Turcs et des Kurdes, la Mosquée Ortakoy, le Palais Kucuksu et plusieurs autres demeures. Le ministère du tourisme turc et les guides officiels évitaient d’identifier les architectes de ces édifices comme étant les Arméniens Balyan jusqu’aux années 2000, attribuant ces édifices à Baliani, un architecte italien.

Sarkis Balyan

Tandis que les sultans ottomans ordonnaient aux Balyan la construction de palais les uns après les autres, ils accumulèrent une telle quantité de dettes qu’ils durent se déclarer en faillite en 1876. À l’Architecte en chef de l’empire, Sarkis Balyan, lui aussi, était dû des sommes importantes, et le sultan Abdulhamid décida de donner à Balyan la seule ile du Bosphore en paiement de sa dette. L’île n’était qu’un rocher à hauteur du village de Kurucesme et à égale distance des rives du Bosphore. Sarkis Balayan décida la construction d’une demeure d’été sur ce rocher pour y demeurer avec l’amour de sa vie, son épouse Makrouhi, fille d’une autre famille arménienne au service de l’empire ottoman, lui fournissant poudre canon et munitions. Malheureusement, Makrouhi mourut quelques temps après de la tuberculose, et Sarkis commença dans l’île une vie en solitaire.

L’île commença dès lors à être connue sous le nom d’Île Sarkis Bey, et devint un lieu de rencontre pour les artistes et intellectuels amis de Sarkis Balyan. L’un de ses invités habituels était le célèbre peintre russo-arménien Ivan Hovhannes Aïvazovski, qui s’installait toujours dans l’île lorsqu’il visitait Istanbul. Quelques uns de ses paysages les plus connus furent créés là-bas. Sarkis Balyan mourut en 1889, et malheureusement, l’île ne fut pas entretenue pas ses héritiers. Le gouvernement en prit possession et la convertit en dépôt de charbon pour les bateaux traversant le Bosphore. En 1940, les héritiers de Balyan obtinrent que la propriété de l’île leur soit restituée, mais décidèrent finalement de la vendre en 1957 au club sportif Galatasaray, l’une des institutions sportives les plus connues de Turquie. L’île fut rebaptisée île Galatasaray, et des piscines et installations sportives y furent construites. En 2006, elle fut donnée en location à une société privée qui, pour en faire un lieu de rencontre huppé, y ajouta plusieurs restaurants. En 2017, la plupart de ces installations furent démolies par le gouvernement pro-islamique, et des propositions sont faites maintenant pour y construire une mosquée sur l’île, l’île Sarkis Bey à l’origine.

Le Palais Dolmabahçe vu depuis le Bosphore (Photo : David Con Fran)

Le Bosphore est lié aux Arméniens sous de nombreux autres aspects. Robert College, le plus vieux collège américain hors des états-Unis, fut fondé en 1863 sur la rive européenne du Bosphore, par Christopher Robert, un riche philanthrope, associé au missionnaire Cyrus Hamlin.
Hamlin avait appris l’arménien pour communiquer avec les premiers étudiants de la pension : des garçons arméniens. L’école se développa rapidement et devint une institution d’enseignement de premier plan à Istanbul, s’adjoignant finalement une université avec de nombreuses facultés. Jusqu’à la Première guerre mondiale,
La plupart des étudiants étaient issus des minorités -Arméniens, Grecs, Bulgares et Juifs. Malheureusement, le Génocide des Arméniens coûta la vie à plusieurs diplômés du Robert College, tout comme aux autres intellectuels arméniens. Le célèbre journaliste arménien Teotig (Teodoros Lapchindjian), qui dressa la liste des victimes-intellectuels arméniens dans son livre de 1919, Memorial to April 24 [Récit du 24 avril], relève qu’au moins 10 diplômés de Robert College furent tués, soit exécutés, soit massacrés.

Mausolée de la famille Balyan (Photo : Daily Sabah)

Je finirai par une anecdote personnelle. J’étais moi-aussi étudiant du Robert College. Notre professeur d’éducation physique était Abbas Sakarya, le premier champion de lutte turc à avoir remporté des médailles d’or internationales, le premier entraîneur de gymnastique accrédité, le premier fondateur d’une académie de natation et une légende dans tous les domaines sportifs en Turquie. C’était une personne très stricte, un homme sévère qui ne se laissa jamais aller à un sourire.

Abbas Sakarya

Robert College organisait annuellement des compétitions de traversée à la nage entre la rive asiatique et la rive européenne. La largeur du détroit du Bosphore est proche d’un mile, mais du fait des courants traitres qui s’y développent, il faut nager sur une distance double ou triple pour cette traversée. Avec des douzaines d’étudiants et lycéens d’autres universités, j’ai moi aussi participé à la compétition et j’ai fini une fois deuxième parmi les lycéens. M. Sakarya me félicita, et avec un sourire rarissime, me souffla “abris !“ [bravo !, en arménien].

Sur le moment, j’ai pensé qu’il avait employé ce mot comme un compliment parce qu’il savait que j’étais arménien. Mais quelques années plus tard, tandis qu’approchait le jour de sa mort à 97 ans, j’ai découvert que ce sportif turc légendaire et professeur était en fit un Arménien caché de Boursa - un orphelin du Génocide.

Beaucoup d’histoires secrètes et non-dits existent en Turquie. Peut-être les Turcs ne le savent-ils pas ou ne veulent pas les connaître, mais elles doivent être révélées.

par Raffi Bedrosyan le 3 octobre 2017

Traduction Gilbert Béguian

https://armenianweekly.com/2017/10/03/an-armenian-island-on-the-bosphorus/


dimanche 8 octobre 2017,
Stéphane ©armenews.com

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