mardi 12 janvier 2016

DE LA NORMATIVITE DES LOIS DE RECONNAISSANCE DE CRIMES CONTRE L'HUMANITE LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL NE DISCUTE PLUS



DE LA NORMATIVITE DES LOIS DE
RECONNAISSANCE DE CRIMES CONTRE
L'HUMANITE LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL NE
DISCUTE PLUS

« Mais, dans les sciences juridiques plus que dans les
autres, seule la discussion est féconde, parce que, seule,
elle permet de faire sortir de la loi ou de la sentence, les
contraires dont elles ne sont que le provisoire repos »
Doyen Jean CARBONNIER, Le silence et la gloire,
Dalloz 1951, chr. XXVIII
Rappelons-nous :

« Que les massacres et déportations subis par le peuple arménien étaient constitutifs d’un
génocide relève de l’« évident ». Le génocide arménien est un fait historique clairement établi.
(1) Le nier revient à nier l’évidence. »
Tel était le jugement apodictique que portaient, dans leur opinion dissidente rendue publique le
15 Octobre 2015, les juges SPIELMANN, CASADEVALL, BERRO, DE GAETANO,
SICILIANOS, SILVIS et KŪRIS, qui fait corps avec l'arrêt rendu le même jour par la Grande
Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme, dans l'affaire opposant la Suisse à Dogu
PERINCEK - page 126/139, § 2 de l'arrêt - ( 1. Cf. pour le détail, à la fois concernant la
matérialité des faits et l’élément intentionnel de ceux qui ont commis les crimes, Hans-Lukas
Kieser et Donald Bloxham, in The Cambridge History of the First World War, Cambridge,
Cambridge University Press, 2015, Vol. I, “Global War”, Ch. 22 (Genocide), pp. 585-614. ).
Plus aucun doute n'est, aujourd'hui, permis : le Génocide Arménien est un crime international
notoire dont la preuve n'a pas à être administrée, mais dont l'existence se constate, au sens de
l'article 69 § 6 du Statut de Rome ( Cour pénale internationale ), statut auquel renvoie la
décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 Novembre 2008 :
« La Cour n'exige pas la preuve des faits qui sont notoires, mais en dresse le constat
judiciaire. »
La réalité du Génocide Arménien – vérité de fait et vérité de raison ( Leibniz ) - n'est pas, au
demeurant, susceptible d'être contredite par l'arrêt de la Cour de Strasbourg du 15 Octobre 2015.
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Cependant, les juges de la Rue de Montpensier sont restés, en apparence, quelque peu
hermétiques à cette évidence.
Le Conseil constitutionnel vient, en effet, de se prononcer sur la question prioritaire de
constitutionnalité dont la Chambre criminelle de la Cour de cassation l'avait saisi par arrêt
n°4632 en date du 06 Octobre 2015 ( M. Vincent X...., n°15-84.335 ) aux motifs que cette
disposition législative « est susceptible de créer une inégalité devant la loi et la justice ; ».
Il affirme dans sa décision n°2015-512 QPC du 08 Janvier 2016 que « L'article 24 bis de la loi
du 29 juillet 1881 dans sa rédaction issue de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions
relatives à la lutte contre le terrorisme est conforme à la Constitution. » ( article 1er ).
Nous ne pouvons souscrire à cette conclusion manifestement erronée.
L'examen critique de la décision ( II ), éclairé par le rappel de la problématique dont était saisi
le Conseil constitutionnel ( I ), en révèle les faiblesses ( III ), mais aussi les potentialités ( IV ).
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I.-/ LA PROBLEMATIQUE PORTEE PAR LA CHAMBRE CRIMINELLE DE LA COUR
 DE CASSATION DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL : LA SUSPICION
LEGITIME DE DISCRIMINATION PESANT SUR LA LOI GAYSSOT
La question qui était posée au Conseil constitutionnel par la Chambre criminelle de la Cour
de cassation ( arrêt n°4632 du 06 Octobre 2015 ), dans le cadre du pourvoi n°15-84.335 dont celleci
est saisie, était dénuée d'ambiguïté : l'article 24 bis de la loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la
presse, issu de la loi du 13 Juillet 1990 dite Loi Gayssot, est-il discriminatoire, comme
« susceptible de créer une inégalité devant la loi et la justice » en ce qu'il « incrimine la seule
contestation des crimes contre l’humanité définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire
international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis, soit par des
membres d’une organisation criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une
personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale »?
En d'autres termes, l'existence d'autres crimes contre l'humanité, notamment ceux dont la
France a solennellement reconnu la réalité factuelle et juridique, tels que le Génocide Arménien
( loi n°2001-70 du 29 Janvier 2001 ) et l'Esclavage ( loi n°2001-434 du 21 Mai 2001 ), est-elle
déterminante d'une différence injustifiée de traitement devant la loi ( reconnaissance du crime ) et
devant la justice ( pénalisation de sa négation )?
Le principe d'égalité devant la loi est consacré par l'article 6 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen du 26 Août 1789 ( ci-après « DDH » ) selon lequel la loi « doit être la
même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses
yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité;
et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. ».
Quant à l'article 1er de la Constitution du 04 Octobre 1958, il n'est pas moins clair quant au
principe consacré en disposant que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens
sans distinction d'origine, de race ou de religion. »
Le principe d'égalité devant la justice procède de la combinaison de ces textes constitutionnels
avec l'article 16 DDH :
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des
pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
Selon une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel précise la portée du principe
d'égalité devant la loi :
« ( … ) 10. Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et
du citoyen de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle
punisse » ; que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente
des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu
que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec
l’objet de la loi qui l’établit ; ( CC, décision n°2014-698 DC du 06 Août 2014, Loi de financement
rectificative de la sécurité sociale pour 2014 ).
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Une loi entachée de discrimination doit être abrogée ( CC, décision n°2015-492 QPC du 16
Octobre 2015, Association Communauté rwandaise de France: abrogation à compter du 1er
Octobre 2016 des mots « des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou » figurant à
l'article 48-2 de la loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la presse, dans sa rédaction issue de l'article
13 de la loi n°90-615 du 13 Juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou
xénophobe ( loi dite Gayssot – JORF 14/07/1990, p. 08333 ).
La Cour de justice de l'Union européenne a une conception sensiblement différente de la
discrimination entendue comme traitement différencié de « situations comparables entraînant
un désavantage pour certaines personnes par rapport à d'autres » :
« ( … )
47 Une différence de traitement est justifiée dès lors qu'elle est fondée sur un critère objectif et
raisonnable, c'est-à-dire lorsqu'elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi
par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le
traitement concerné ( voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 1977, Bela-Mülle Bergmann, 114/76, Rec.
p. 1211, point 7; du 15 juillet 1982, Edeka Zentrale, 245/81, Rec. p. 2745, point 11 et 13; du 10
mars 1998, Allemagne/Conseil, C-122/95, Rec. p. I-973, point 68 et 71, ainsi que du 23 mars 2006,
Unitymark et North Sea Fishermen's Organisation, C-535/03, Rec. p. I-2689, points 53, 63, 68 et
71 ).
( CJUE, Grande Chambre, 16 Décembre 2008, Société Arcelor Atlantique et Lorraine e.a.
C/ Premier ministre, Ministre de l'Ecologie et du Développement durable, Ministre de
l'Economie, des Finances et de l'Industrie, n°C-127/07 ).
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II.-/ LA SOLUTION ADOPTEE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL LE 08
JANVIER 2016
Pour pouvoir délivrer un label de constitutionnalité à l'article 24 bis de la loi du 29 Juillet 1881
sur la liberté de la presse ( loi dite Gayssot ), le Conseil constitutionnel s'efforce de justifier cette
disposition législative en ce qui concerne l'atteinte tant à la liberté d'expression et d'opinion, qu'au
principe d'égalité devant la loi pénale.
En premier lieu, « l'atteinte à l'exercice de la liberté d'expression qui en résulte est nécessaire,
adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi par le législateur ; que, par suite, le grief tiré de
l'atteinte à cette liberté et à la liberté d'opinion doit être écarté ; » ( considérant 8 ).
En second lieu, « 10. Considérant que, d’une part, la négation de faits qualifiés de crime contre
l’humanité par une décision d’une juridiction française ou internationale reconnue par la France
se différencie de la négation de faits qualifiés de crime contre l’humanité par une juridiction autre
ou par la loi ; que, d’autre part, la négation des crimes contre l’humanité commis durant la
seconde guerre mondiale, en partie sur le territoire national, a par elle- même une portée raciste
et antisémite; que, par suite, en réprimant pénalement la seule contestation des crimes contre
l’humanité commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de
l’article 9 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg, soit par une personne
reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, le législateur a
traité différemment des agissements de nature différente ; que cette différence de traitement est en
rapport avec l’objet de la loi du 13 juillet 1990 susvisée qui vise à réprimer des actes racistes,
antisémites ou xénophobes ; que le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité devant la loi pénale
doit être écarté ; ( … ) »
En outre, la demande d'abrogation de la loi n°2001-70 du 29 Janvier 2001, formée
incidemment par « l'Association pour la neutralité de l'enseignement de l'histoire turque dans les
programmes scolaires - ANEHTPS » est rejetée :
« 3. Considérant que les associations MRAP, LICRA et ANEHTPS, intervenantes, concluent à la
conformité de la disposition contestée à la Constitution; que l’ANEHTPS demande en outre
l’abrogation de la loi du 29 janvier 2001 susvisée dont le Conseil constitutionnel n’est pas saisi ;
que, les conclusions de cette dernière sur ce point doivent être rejetées ; »
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III.-/ LA CRITIQUE DE LA THESE DE LA DISCRIMINATION POSITIVE QUI SOUSTEND
LA DECLARATION DE CONFORMITE
Depuis que la Cour européenne des droits de l'homme a publié les opinions dissidentes
annexées à son arrêt de Grande Chambre du 15 Octobre 2015 disant du Génocide Arménien
qu'il relève de l' « évident », il n'est plus possible de nier sérieusement ce crime contre l'humanité
qu'il ait été, comme en France, reconnu par une loi ou que sa reconnaissance internationale,
notamment européenne ( Résolution du Parlement européen du 18 Juin 1987 ) suffise à d'autres
Etats ( Slovaquie, Grèce ) à le considérer comme notoire au sens de l'article 69 § 6 du Statut de
Rome ( Cour pénale internationale ) et à pénaliser sa négation.
On ne saurait, dès lors, opposer, d'une part, les crimes nazis dont la négation devrait être punie
et, d'autre part, le Génocide Arménien ou l'Esclavage, qui pourraient, en toute impunité, continuer
à être contestés.
Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel avait le choix entre les deux branches de
l'alternative qui s'ouvrait à lui :
- Soit, eu égard à l'autorité de chose jugée erga omnes dont est investi l'arrêt rendu le 15
Octobre 2015 par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'homme
( Déclaration d'Interlaken ), qui s'attache tant au dispositif qu'aux motifs qui en sont le soutien
nécessaire, ainsi, comme en l'espèce, aux opinions dissidentes qui complètent, sans contrariété, ce
que la Cour n'a pas tranché ( la question de la réalité juridique du Génocide Arménien ), le
Conseil constitutionnel est convaincu de la discrimination dont est entachée l'article 24 bis de la
loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la presse – comme le suggère fortement la Chambre
criminelle dans son arrêt de renvoi du 06 Octobre 2015 - et abroge cette disposition législative,
avec effet différé pour permettre au législateur de réécrire un texte conforme tant à la Constitution
qu'au droit supranational, sans priver la mémoire des victimes des crimes nazis de la protection dont
elle bénéficie aujourd'hui;
- Soit, le Conseil constitutionnel, estimant qu'il persiste une difficulté sérieuse notamment en
raison de l'article 1er § 4 de la décision-cadre du 28 Novembre 2008 qui ferait obstacle à la
transposition adéquate en France de ladite décision-cadre, obstacle que l'arrêt de Grande
Chambre précité de la Cour de Strasbourg ne suffirait pas à lever, renvoie à la Cour de justice de
l'Union européenne la question de la validité de cette disposition de droit dérivé et celle de
l'interprétation du droit de l'Union, spécialement quant à sa propre jurisprudence relative à la
normativité de la loi.
Sans s'en expliquer davantage, le Conseil constitutionnel tente d'échapper à ce choix binaire.
Il affirme erronément, en premier lieu, que « la validité de la décision cadre précitée est sans
effet sur l’appréciation de la conformité de la disposition contestée aux droits et libertés que la
Constitution garantit ; », ce qui lui permet, à ses yeux, de ne pas poser les questions préjudicielles
dont nous l'avions saisi et de cantonner le litige au strict domaine de la Constitution française,
dans l'interprétation étroite qu'il lui donne.
…/...
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En second lieu, le Haut Conseil crée arbitrairement une différence – qu'aucune norme n'a
établie - à l'intérieur de la catégorie des comportements négationnistes selon que la qualification
de crime contre l'humanité des faits contestés résulte d'une décision d'une juridiction française
ou internationale reconnue par la France, d'une part, ou d'une autre juridiction ou de la loi
française, d'autre part.
Ce faisant, le Conseil constitutionnel reprend l'argumentaire spécieux qui a été suivi par la
faible majorité de la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt de Grande
Chambre du 15 Octobre 2015 ( Perincek c. Suisse, n°27510/08 ) et que la forte minorité des
juges dissidents, dont le Président alors en exercice de ladite Cour, Dean SPIELMANN, a
judicieusement rejeté :
« 7. Il est évident que cette approche universaliste contraste avec celle de la majorité dans le
présent arrêt. Si l’on voulait tirer toutes les conséquences logiques de l’approche
géographiquement cantonnée qui semble être celle de la majorité, on pourrait penser que la
négation en Europe de génocides commis dans d’autres continents, comme par exemple du
génocide rwandais ou de celui perpétré par les Khmers rouges au Cambodge serait protégée par la
liberté d’expression sans aucune limite ou presque. Il ne nous paraît pas qu’une telle vision reflète
les valeurs universelles qui sont consacrées par la Convention. » ( page 128/133 de l'arrêt ).
Renonçant à hiérarchiser les crimes contre l'humanité, entreprise périlleuse, s'il en est, le
Conseil constitutionnel opère une distinction artificielle dans la négation desdits crimes. Tout en
admettant la différence de traitement qui résulte de la loi dite Gayssot, il prétend la justifier en
référence à « l’objet de la loi du 13 juillet 1990 susvisée qui vise à réprimer des actes racistes,
antisémites ou xénophobes ; »
Le juge constitutionnel crée délibérément, dans ces conditions, une discrimination positive au
profit des victimes des crimes nazis, comme s'il s'agissait de citoyens défavorisés.
La discrimination positive est, en effet, définie comme « Traitement préférentiel réservé à des
catégories de citoyens défavorisés, par mesure de compensation, politique ordonnée, moyennant
la rupture de l'égalité juridique, à la poursuite d'une égalité concrète, dont l'affirmative action
expérimentée aux Etats-Unis est un exemple. ( … ) ». ( Vocabulaire juridique Gérard CORNU,
PUF, Quadrige, 10 édition Janvier 2014, v° DISCRIMINATION, p. 352 ).
Or, les victimes des crimes nazis ne sont pas plus défavorisées que les victimes des autres
crimes contre l'humanité, forfaits qui relevant tous du JUS COGENS ( droit contraignant ) et
ayant en commun la volonté de destruction d'un groupe humain, doivent être traités de façon
égale. Cette catégorie de victimes a, faut-il le souligner, été la première, en France, à être protégée
par la loi pénale ( loi dite Gayssot du 13 Juillet 1990 ), protection juridictionnelle dont les victimes
d'autres crimes contre l'humanité sont toujours injustement privées.
En outre, le législateur qui doit observer le principe d'égalité ne saurait, par le but qu'il se
donne, s'auto-affranchir du respect de ce principe constitutionnel, sous peine d'entacher ses actes de
tautologie. On ne voit pas, au demeurant, en quoi la répression des actes racistes ou xénophobes
permettrait de n'inclure dans le champ d'application de la loi la seule négation des crimes commis
pendant la seconde guerre mondiale.
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De surcroît, le lien entre le Génocide Arménien et la République française a été
indéfectiblement noué par la déclaration tripartite du 24 Mai 1915 par laquelle les
gouvernements de l’Entente, savoir France, Angleterre et Russie, se sont mis en devoir, par une
prise de position commune, de mettre en garde la Turquie contre ces forfaits, dans les termes
suivants:
« Les gouvernements de France, d'Angleterre et de Russie ont décidé en commun accord de
faire les déclarations suivantes:
Depuis un mois, les populations turque et kurde, de concert avec les agents du gouvernement
turc, et souvent avec leur aide, sont en train de massacrer les Arméniens. En particulier, des
massacres ont eu lieu vers la mi-avril, à Erzeroum, Terdjan, Bitlis, Mouch, Sassoun, Zeïtoun et dans
toute la Cilicie.
Dans les environs de Van, la population de cent villages a été massacrée en masse. Le
gouvernement turc est aussi en train de persécuter la population arménienne inoffensive de la
capitale. En présence de ces nouveaux crimes de la Turquie contre l'humanité et la civilisation,
les gouvernements alliés font savoir publiquement à la Sublime Porte qu'ils tiendront
personnellement responsables les membres du gouvernement ottoman ainsi que ceux de ses
agents qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres. »,
déclaration que la loi française n°2001-70 du 29 Janvier 2001 est venue réaffirmer
solennellement et juridiquement.
Le constat de la discrimination dont est affecté l'article 24 bis de la loi du 29 Juillet 1881 sur la
liberté de la presse aurait dû conduire le Conseil constitutionnel, par l'effet d'une abrogation à
effet différé – comme celle qu'il a prononcée le 16 Octobre 2015 ( CC, décision n°2015-492 QPC
du 16 Octobre 2015, Association Communauté rwandaise de France ), à retirer, fût-ce de façon
virtuelle, l'avantage ( la protection par la loi pénale contre le négationnisme ) octroyé à la seule
catégorie des victimes des crimes visés par le Statut du Tribunal militaire international de
Nuremberg, annexé à l'Accord de Londres du 08 Août 1945 et inviter ( injonction de fait ) le
législateur à mettre à profit ce délai pour rétablir ledit avantage au profit des victimes de tous les
crimes contre l'humanité.
En effet, comme l'avait relevé le Conseil constitutionnel, le délit d'apologie des crimes de
guerre et des crimes contre l'humanité prévu par l'article 24 de la loi du 29 Juillet 1881 sur la
liberté de la presse ne réprime « pas la seule apologie des crimes de guerre et des crimes contre
l’humanité commis durant la seconde guerre mondiale ; » ( consid. 6 ), avant d'énoncer qu' « en
excluant du bénéfice de l’exercice des droits reconnus à la partie civile les associations qui se
proposent de défendre les intérêts moraux et l’honneur des victimes de crimes de guerre ou de
crimes contre l’humanité autres que ceux commis durant la seconde guerre mondiale,
méconnaissent le principe d’égalité devant la justice ; » ( consid. 7 ).
La décision du juge constitutionnel a été différente, en l'occurrence. Ne pouvant contester
sérieusement la discrimination créée par l'article 24 bis de la loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de
la presse, il a fait le choix de tenter de la justifier, ce, d'autant plus librement qu'aucune juridiction
nationale ne peut contrôler cette appréciation, bien qu'elle heurte le sens premier de l'équité.
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 IV.-/ LA PORTEE DE LA DECISION DU 08 JANVIER 2016 : LA CONSECRATION
IMPLICITE DES LOIS DE RECONNAISSANCE DE CRIMES CONTRE L'HUMANITE
Mais, la création d'une discrimination positive en faveur d'un groupe de personne – en l'espèce,
les victimes des crimes nazis – s'accompagne nécessairement de la reconnaissance aux autres
citoyens d'un niveau standard de garanties par le législateur.
Le Conseil constitutionnel qui rappelle régulièrement qu'il « ne dispose pas d’un pouvoir
général d’appréciation de même nature que celui du Parlement ; » ( CC, décision n° 2015-492
QPC du 16 Octobre 2015 - Association Communauté rwandaise de France, considérant 9 ) ne
se reconnaît pas le pouvoir d'apprécier si « la négation de faits qualifiés de crime contre
l’humanité par une juridiction autre ou par la loi » ( considérant 10 ) doit ou non être érigée par le
législateur en infraction pénale, lequel conserve, en la matière une liberté de principe :
« 5. Considérant qu’aux termes de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus
précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de
l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » ; que l’article 34 de la Constitution
dispose : « La loi fixe les règles concernant... les droits civiques et les garanties fondamentales
accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » ; que, sur ce fondement, il est
loisible au législateur d’édicter des règles concernant l’exercice du droit de libre communication et
de la liberté de parler, d’écrire et d’imprimer ; qu’il lui est également loisible, à ce titre, d’instituer
des incriminations réprimant les abus de l’exercice de la liberté d’expression et de
communication qui portent atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers ; ( … ) » ( CC, décision
n°2015-512 QPC du 08 Janvier 2016, M. Vincent R., considérant 5 ).
Cependant, la France, comme les vingt-sept autres Etats membres de l'Union européenne,
constituée, comme l'indique l'article 88-1 de la Constitution du 04 Octobre 1958, « d'Etats qui ont
choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union
européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité
signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. », a accepté de limiter sa liberté de légiférer, qui devient,
en matière de lutte contre le négationnisme, une obligation, dans les conditions prévues par la
décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil du 28 Novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes
et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal.
Cette norme de droit dérivé oblige chaque Etat membre à rendre punissable notamment
« l'apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes
contre l'humanité et crimes de guerre, tels que définis aux articles 6, 7 et 8 du Statut de la Cour
pénale internationale, visant un groupe de personnes ou un membre d'un tel groupe défini par
référence à la race, la couleur, la religion, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique lorsque
le comportement est exercé d'une manière qui risque d'inciter à la violence ou à la haine à l'égard
d'un groupe de personnes ou d'un membre d'un tel groupe ; ».
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Comme on le voit, la distinction que le législateur et le Conseil constitutionnel français
opèrent entre l'apologie et la négation des crimes contre l'humanité est absente dans la décisioncadre
du 28 Novembre 2008. L'apologie, la négation, de même que la banalisation grossière
publiques de tels crimes sont toutes des manifestations de racisme et de xénophobie qui doivent
être combattues de manière égale par les Etats membres de l'Union européenne.
C'est dire que ce qui, dans l'application subjective que fait le Conseil constitutionnel du
principe d'égalité devant la loi pénale, lequel procède de l'article 6 de la Déclaration des droits
de l'homme et du citoyen du 26 Août 1789 ( DDH ), ne serait pour le législateur qu'une simple
faculté ( incriminer ou non la négation des crimes contre l'humanité autres que ceux commis
pendant la seconde guerre mondiale ), devient une véritable obligation juridiquement sanctionnée
en application du droit de l'Union européenne.
La Constitution, telle que l'interprète et l'applique singulièrement le Conseil constitutionnel
n'épuise pas à elle seule le droit français positif, lequel compte en son sein toutes les règles du Droit
de l'Union, le droit primaire ( les traités ) et le droit dérivé ( les règlements, directives et décisionscadres
).
C'est l'intégralité de ces normes nationales et supranationales que devra appliquer la juridiction
administrative qui sera prochainement désignée par le Président de la Section du contentieux du
Conseil d'Etat, aux fins de connaître de notre demande indemnitaire ( plein contentieux ) dont j'ai
saisi le Tribunal administratif de Marseille le 30 Décembre 2014 tendant à la transposition
adéquate ( i.e. à l'exclusion du paragraphe 4 de son article 1er ) de la décision-cadre du 28
Novembre 2008.
Tenu d'appliquer le droit de l'Union et notamment la décision-cadre susvisée, le juge de la
responsabilité de l'Etat ne jouira pas de la même marge de manœuvre que le Conseil constitutionnel.
Il ne lui sera pas constitutionnellement possible de distinguer entre les crimes contre l'humanité
dont l'universalisme a conduit la décision-cadre à les placer sur un pied d'égalité ; le sousparagraphe
d ( article 1er, § 1-d ) relatif aux crimes nazis vient après les crimes définis par
référence au Statut de la Cour pénale internationale ( article 1er, § 1-c ), ce qui indique que les
crimes commis pendant la seconde guerre mondiale ont été précédés d'autres crimes de génocide,
crimes contre l'humanité et crimes de guerre – parmi ceux-ci, le Génocide Arménien - dont
l'apologie, la négation et la banalisation grossière publiques doivent, à l'identique, être
réprimées pénalement.
La réalité du Génocide Arménien est d'autant moins contestable que, pour la première fois, le
Conseil constitutionnel vise, dans sa décision du 08 Janvier 2016, la loi n°2001-70 du 29 Janvier
2001 et admet dans son considérant 10, que des faits puissent être « qualifiés de crime contre
l’humanité par ( … ) la loi ; ».
Le juge constitutionnel renonce, à mots couverts, à sa thèse relative à la normativité de la loi et
n'affirme plus, désormais, comme il l'avait fait dans sa décision n°2012-647 DC du 28 Février 2012
– Loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi « qu'une
disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un crime de génocide ne saurait, en ellemême,
être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi ; » ( considérant 6 ), ce dont on peut
déduire qu'aujourd'hui cette jurisprudence est caduque.
…/...
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En effet, si le Conseil constitutionnel persistait à émettre des doutes quant à la normativité de
la loi n°2001-70 du 29 Janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, il
ne l'aurait pas visée en première page de sa décision du 08 Janvier 2016.
La contestation de ce crime contre l'humanité notoire ( qui relève de l'évident, selon
l'expression du Président SPIELMANN et des autres juges dissidents de la Cour européenne des
droits de l'homme ) demeure, même en l'absence de pénalisation, manifestement illicite et doit
donner lieu à réparations civiles, conformément au principe constitutionnel de réparationresponsabilité
consacré par l'article 1382 du Code civil.
La loi de reconnaissance constitue, dès lors, un obstacle incontournable à l'adhésion d'une
Turquie qui persisterait dans le déni.
*
Selon la formule de John RAWLS: « La justice est la première vertu des institutions sociales
comme la vérité est celle des systèmes de pensée. Si élégante et économique que soit une théorie,
elle doit être rejetée ou révisée si elle n'est pas vraie; de même, si efficaces et bien organisées que
soient des institutions et des lois, elles doivent être réformées ou abolies si elles sont injustes. »
(Théorie de la Justice, Editions du Seuil, Février 1987, p. 29 ).
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…/...
12/12

Je l'affirme derechef, notre détermination ne faiblira pas. Celle-ci se nourrit des résistances abusives au progrès que certains misologues tentent de nous opposer en vain. Notre course inexorable vers le triomphe de la Vérité et de la Justice n'est pas achevée. Mais elle est sûre.
Trempée dans la plus pure vertu, notre volonté d'acier ne fléchira ni ne cassera. Inspirée par le Bien commun et guidée par la Raison universelle, elle nous conduira, dans un ultime effort, au succès de nos prétentions légitimes et à la paix des âmes.
Emile ZOLA ne me démentirait pas : La Vérité est en marche et rien ne l'arrêtera.
J'ajoute : le Droit, lui, ne ment pas.

Je dédie ces lignes, sans exclusive aucune, à toutes les victimes de génocides, crimes contre l'humanité et crimes de guerre.

Marseille, le 12 Janvier 2016

Philippe KRIKORIAN,
Avocat à la Cour ( Barreau de Marseille )
Tél. 04 91 55 67 77
BP 70212 – 13178 MARSEILLE CEDEX 20
Courriel Philippe.KRIKORIAN@wanadoo.fr
Site Internet www.philippekrikorian-avocat.fr

http://dzovinar.blogspot.fr/p/page-de-maitre-philippe-krikorian.html

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