vendredi 17 octobre 2014

LES LIENS HISTORIQUES ET CULTURELS ENTRE ARMÉNIENS ET ARABES

Grand merci à Jacqueline-Siranouche Markarian pour ses recherches.



LES LIENS HISTORIQUES ET CULTURELS ENTRE ARMÉNIENS ET ARABES



Pr Nicolaï Hovhanissian, département arabe de l'Institut des études orientales d'Erevan.
Présentation de l'Institut - aujourd'hui le Pr N. Hovhannissian est directeur de l'Institut des Etudes orientales qui fait partie de l'Académie des Sciences de l'Arménie
Krounk, Erévan (Arménie) - 1984- XII - pp19-21


Les relations arméno-arabes plongent leurs racines dans les profondeurs des siècles. Appartenant à un même milieu géographique, le Proche-Orient, ces deux peuples antiques, porteurs d'une haute culture, ont depuis des temps immémoriaux, entretenu des rapports politiques, économiques, intellectuels et culturels, d'autant plus étroits, que par un concours de circonstances politiques, ils ont fait partie, à diverses époques historiques, des mêmes groupements d'États. En 84-86 avant notre ère, la Syrie, le Liban (la Phénicie), la Palestine et la Mésopotamie ont fait partie du puissant État arménien de Tigrane le Grand.

Plus tard, aux VII°-IX° siècles, c'est l'Arménie qui fera partie du califat arabe. Tous ces facteurs objectifs ont contribué à la connaissance réciproque des Arméniens et des Arabes, à l'interpénétration de leurs cultures.

Les faits historiques attestent que le Moyen Âge, les penseurs et les chroniqueurs arabes témoignent un vif intérêt pour les travaux des chroniqueurs arméniens, pour la pensée et la mythologie du peuple arménien, s'efforçant par le truchement de la langue arabe, de les mettre à la portée de leurs compatriotes. La traduction dès le Moyen Âge de l'Histoire des Arméniens de notre chroniqueur du V° siècle, Agathange, en est la preuve.

L'illustre chroniqueur arabe du X° siècle, Mas'udi, dans son oeuvre scientifique et historique "Sables aurifères et gisements de pierres précieuses", a inséré la légende "Ara et Sémiramis" enregistrée dès le V° siècle par le patriarche de nos historiens, Movsès Khorénatsi.

Mentionnons encore le vif intérêt que manifeste Kosta Ibn Luca pour les études scientifiques du grand savant, mathématicien et astronome arménien du VII° siècle, Anania Chirakatsi.

Les Arméniens ont témoigné un vif intérêt pour la poésie arabe du Moyen-Age, un des joyaux du patrimoine littéraire de l'humanité.

Les contacts arméno-arabes ont été particulièrement fructueux dans le domaine de la médecine. La science médicale arménienne et arabe du Moyen-Âge avait atteint un haut niveau de développement. Les recherches de Mekhitar Hératsi (XII° siècle), Grigoris (XIII° siècle) et Amirdovlat Amassiatsi (XV° siècle) avaient répandu le nom de leurs auteurs hors des frontières nationales les portant à la connaissance des peuples voisins, dont les Arabes. Il faut tout particulièrement mentionner le haut développement de la médecine en Arméno-Cilicie (XI°-XIV°siècles) où, médecins arméniens et arabes exerçaient côte à côte.

Le XII° siècle nous a légué les noms de deux sommités médicales: l'Arménien Mekhitar Hératsi et le Syrien Abu Saïd. Ce dernier entretenait des rapports étroits avec les intellectuels arméniens, en particulier avec Nersès Chnorhali et Nersès Lambronatsi.

L'original de l'oeuvre largement répandu en Arménie médiévale, "L'Anatomie de l'homme" d'Abu Saïd ayant été perdu, son ancienne traduction arménienne qui nous est parvenue, a valeur d'original.

Une nouvelle étape dans les relations arméno-arabes commença avec le retrait de l'Arménie du califat et le rétablissement de sa souveraineté en 885.

Le calife al-Mut'amid, un des premiers à reconnaître l'indépendance de l'État arménien, envoya, en signe de respect, une couronne au roi Bagratide des Arméniens, Achot 1er. D'activés relations politiques et diplomatiques s'établirent entre les deux États voisins, qui se maintinrent jusqu'à la chute de la dynastie des Bagratides an 1045.

Les chroniqueurs arabes parlent avec d'Ali Ibn Yahia al-Armani, personnalité politique et militaire d'origine arménienne du IX° siècle, qui s'était illustré lors des campagnes contre les Byzantins. Il avait occupé le poste de gouverneur d'Arminia, qui réunissait l'Arménie, la Géorgie, l'Albanie du Caucase et le Darbande. L'amiral Husun al-Dine Lullu, d'origine arménienne, était un des capitaines les plus en vue des forces navales arabes. Quant à Fostat Vahram, on le considère comme un des fondateurs du Caire.

Les Arméniens jouissaient d'une situation exceptionnelle en Egypte durant le règne des califes fatimides (960-1171). Mentionnons, parmi les plus célèbres, Baghr al-Djamal qui occupa successivement les postes de la garnison de Damas, de gouverneur militaire de la province d'Akka et de chef de l'amirauté égyptienne.

Une autre personnalité éminente, ayant occupé des postes de haute responsabilité était le prince Vahram Pahlavouni (Bahram aïl-Armani), vizir tout puissant du calife Hafiz (1130-1149). Il portait le titre de "Taj al-Daula" (couronne de l'État).

Le cours naturel des relations amicales entre Arméniens et Arabes fut interrompu à la suite des invasions désastreuses des Seidjoukides, des Mongols et des Turcs, qui anéantirent les centres culturels, détruisirent ou massacrèrent les représentants de la science et de la culture des pays arabes et de l'Arménie.

Au XVI° siècle, l'Empire ottoman conquit presque tout le monde arabe, et au XVII° siècle, l'Arménie occidentale.

Les nombreuses invasions dévastatrices et la conjoncture politique précaire, provoquèrent l'exode des Arméniens vers divers pays, y compris les pays arabes. C'est ainsi que, dès le bas Moyen-Âge, des communautés arméniennes se constituent en Egypte, en Syrie, au Liban, en Palestine, qui, malgré les fluctuations de leurs effectifs, parviennent à maintenir leur existence jusqu'à nos jours.

Les colonies arméniennes jouent un rôle exceptionnel dans le développement des relations amicales arméno-aràbes. Elles sont un des maillons reliant les peuples arabes et arméniens.

Dès le Moyen-Age, dans nombre de villes telles que Le Caire, Alep, Bagdad, Beyrouth et d'autres, les Arméniens avaient leurs propres quartiers résidentiels et leurs propres établissement nationaux: hôpitaux, écoles, scriptoria. Plusieurs manuscrits de grande valeur virent le jour dans ces derniers.

A la noble attitude du peuple arabe, les Arméniens ont répondu en apportant leur contribution au développement de la vie économique et culturelle de leurs pays d'adoption.

Au Moyen-Age, les Arméniens ont joué un rôle important dans le développement des métiers dans les pays arabes, en particulier dans le domaine de la métallurgie, l'armurerie, la maçonnerie, le tissage, la couture, la tannerie, l'orfèvrerie, la ferronnerie.

Les Arméniens et les Arabes se considéraient comme des alliés naturels. Leurs luttes contre la tyrannie ottomane prennent des allures plus organisées et plus générales dans la deuxième moitié du XIX° et au début du XX° siècles.

C'est l'époque du réveil arabe – "la Nahda". L'animation de la vie sociale et politique, l'exaltation de la lutte de libération des Arabes furent joyeusement accueillies par les peuples non turcs de l'Empire ottoman y compris les Arméniens, qui assimilaient cette lutte à leur combat contre l'ennemi commun – la tyrannie ottomane. En sorte que la participation active des Arméniens à la Nahda amorcée au Liban, en Syrie et en Egypte ne fut pas le fait d'un simple hasard.

Plusieurs témoignages et documents officiels attestent que les forces patriotiques arabes, à leur tour, soutenaient la lutte de libération des Arméniens et leurs revendications nationales.

Ainsi à la veille de la Première Guerre Mondiale, se précisaient déjà les objectifs et les terrains de coopération entre Arabes et Arméniens.

Les Jeunes-Turcs et plus spécialement le triumvirat Enver-Talaat-Cemal, les futurs bourreaux des Arméniens et des Arabes, se rendaient parfaitement compte du danger que cela présentait pour l'Empire ottoman. Mettant à profit l'aubaine que leur offrait la Première Guerre mondiale, ils décidèrent de trancher la question nationale par les massacres, choisissant en guise de premières victimes les Arméniens et les Arabes. L'historien égyptien bien connu, Amir Saïd, parlant de cette question dans son livre "Les Insurrections arabes au XX° siècle" exprime cette opinion tout à fait pertinente: "Ils (les dirigeants jeunes-turcs- N.H.) décidèrent que le moment était venu de mettre un terme aux deux puissants mouvements nationaux : celui des nationalistes arabes en Syrie, en Iraq et au Hedjaz, et celui des Arméniens en Anatolie orientale."

Ayant exterminé la plupart des Arméniens, la direction des Jeunes-Turcs ordonna de déporter les survivants vers les déserts arabes, dans l'espoir que ces malheureux seraient engloutis par les sables du désert, et qu'en leur qualité de chrétiens, ils trouvaient auprès des Arabes musulmans un accueil hostile. Mais leurs espoirs ne furent pas réalisés. Ces mêmes années furent cauchemardesques pour les Arabes.

A Beyrouth, à Alep et à Damas, dans les années 1915-1916, les bourreaux ottomans firent pendre des centaines de dirigeants du mouvement de libération arabe. Les exécutions, la terreur, l'arbitraire et la famine faisaient rage dans le monde arabe. Des dizaines de milliers de familles arabes furent refoulées vers les déserts. Les leaders jeunes-turcs appliquaient aux Arabes leur riche expérience acquise lors des massacres des Arméniens.

En dépit de leur condition critique, les Arabes tendirent aux Arméniens sans défense une main charitable. Les gouverneurs arabes de maintes régions refusèrent de suivre l'ordre du gouvernement turc leur enjoignant d'exterminer les Arméniens. Le gouverneur de Deir ez-Zor, Ali Souad, d'origine arabe, non seulement refusa d'exterminer les Arméniens réfugiés dans sa province, mais encore il fit construire un orphelinat pour l'accueil de mille jeunes Arméniens, les y installa et subvint à leurs besoins. Pour cet acte noble et humain, le gouverneur arabe fut relevé de ses fonctions.

Quand le gouverneur de Mossoul reçut l'ordre du gouvernement turc d'exterminer les Arméniens de sa province, il convoqua les dignitaires arabes de son entourage. Ceux-ci s'opposèrent catégoriquement à ce plan, en invoquant "que leur conscience ne pouvait admettre que le peuple arabe verse le sang arménien". Grâce à cette décision, une partie des Arméniens réfugiés à Mossoul parvint à échapper à l'anéantissement. On peut trouver de nombreux exemples identiques.

Selon des estimations approximatives le nombre des Arméniens habitant dans les pays arabes atteint, aujourd'hui un demi million.

Le peuple arménien reconnaissant, a toujours été prêt à payer sa dette de gratitude aux Arabes, défendant leur indépendance politique, contribuant à leur progrès économiques, scientifiques et culturels. Les liens fraternels arméno-arabes se consolidèrent plus encore à l'occasion de leur lutte commune contre les occupants étrangers, au nom de l'indépendance politique des pays arabes.

Sources ADIC- http://www.globalarmenianheritage-adic.fr/…/arabes_armenien…

Photo : Astrolabes arabes médiéval du IXème et Xème siècle avec des inscriptions arméniennes
[Histoire de l'astronomie arménienne B.E. Thoumanian, Erévan, 1964]
Photos : Sauvés par des arabes au prix de leur vie, des rescapés arméniens pendant le génocide des Arméniens.



Photo 1
Photo 2




Photo 3




Photo 4



Photo 5




Photo 6



Photo 7




Photos 1 et 2 : Astrolabes arabes médiévaux des IXe et Xe siècle avec des inscriptions arméniennes
(Histoire de l'astronomie arménienne B.E. Thoumanian, Erevan, 1964).

Photo 3 : Un groupe d'enfants arméniens recueillis par des familles de Bédouins arabes, bien nourris, en bonne santé, convenablement habillés.

Photo 4 : Malatia - Harutyun et Krikor Tashjian, originaires de Malatia, récupérés auprès d'une tribu arabe.

Photo 5 : Un Bédouin ayant sauvé des enfants arméniens à Alep, buvant une tasse de café.

Photo 6 : Un document rare a été mis au jour, témoignant l'assistance d'une tribu arabe (Afrique du sud ?) aux orphelins arméniens en 1921.

Photo 7 : Survivants du génocide qui ont rejoint le groupe de secours arménien. Les femmes et les enfants, tous sauvés par les Bédouins arabes (sans obligation d'islamisation au contraire des Turcs et des Kurdes).
   



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