mardi 6 mai 2014

Entretien avec Hilda Tchoboian, - Proposition d'Ankara ...

Hilda Tchoboian


Entretien avec Hilda Tchoboian, conseillère régionale  PS de Rhône-Alpes et  ancienne présidente de la Fédération euro-arménienne pour la justice et la démocratie. Née à Alep d'une famille d'Arméniens rescapés du génocide de 1915, elle est arrivée en France à 17 ans et y a fait ses études. Nous lui avons demandé de réagir à la proposition d'Ankara d'octroyer la nationalité turque aux descendants des victimes de 1915.

Le quotidien turc libéral Radikal a rapporté le projet du ministère turc des Affaires étrangères d'accorder la nationalité turque aux "petits-fils des victimes arméniennes ottomanes des événèments de 1915''. Que vous inspire cette proposition  et quel enjeu cela représente pour vous?

C'est un pas de côté qui veut créer l'illusion d'un pas en avant. Octroyer la nationalité turque aux descendants des rescapés du génocide est une idée qui prolonge celle de la loi des biens «abandonnés» de 1915, qui visait à exproprier les Arméniens que l'Etat turc avait exterminés.
Comme leurs prédécesseurs avaient créé l'illusion des « biens abandonnés» par les Arméniens alors que ceux-ci avaient été annihilés, les nouveaux dirigeants de l'Etat turc veulent faire croire à une nationalité turco-ottomane enlevée par accident aux Arméniens.
Or, la question de l'extermination de 1,5 millions de personnes ne se résume pas à un problème de citoyenneté, qui plus est, d'un pays qui n'est pas un État de droit. Chaque fois qu'il ne criminalise pas la parole de vérité sur le génocide, Ankara met en place des mécanismes criminels parallèles pour liquider les tenants de cette vérité, puis empêche la justice de punir ces criminels. Les dirigeants turcs ne veulent créer qu'un effet d'annonce par cette proposition.

Ce geste pourra-t-il contribuer à une reconnaissance du génocide comme préalable au règlement de la question arménienne en Turquie ?

Non. Ce geste ne fait qu'embrouiller la problématique de justice. En revanche, indépendamment de sa volonté, le fait que Erdogan s'engage dans une opération qui fait semblant de reconnaître le génocide, même s'il n'en est rien, le met dans une voie qui accroîtra obligatoirement la pression internationale sur lui pour plus de clarté dans sa politique vis-à-vis de la reconnaissance du massacre des Arméniens.

Est-ce que, d'après vous, la voix de la diaspora est entendue en Turquie ?

A ce jour, le pouvoir turc craint l'action de la diaspora qu'il tente d'amadouer par des gestes qu'il voudrait être de "bonne volonté". En réaction à l'activisme de la diaspora, toujours en recherche de reconnaissance, l'Etat turc, après avoir essayé différentes postures hostiles, se place aujourd'hui sur le registre de «la peine partagée» et du concept inventé de toutes pièces de «mémoire juste». Erdogan présente ses condoléances aux petits enfants de ceux «qui ont perdu leur vie» dans les «déplacements» de la Première-guerre-mondiale, à la condition expresse qu'on les mette sur un pied d'égalité avec tous les morts turcs de la guerre. Il ne s'agit plus d'Arméniens exterminés pour ce qu'ils étaient, mais de citoyens ottomans qui ont «souffert» comme tous les autres citoyens. 
La méthode est calquée sur ce que les experts appellent la relativisation, composante principale du négationnisme classique, y compris de la Shoah. A remarquer que la Turquie fait toujours des gestes en direction des individus; jamais vers la collectivité: il est connu que les Arméniens ont été soumis collectivement au génocide en raison de leur origine ethnique et religieuse. Or les tentatives récentes de « réconciliation » (sans reconnaissance, ni réparations)  par la Turquie ont toutes la particularité de réduire le crime de masse à la mort d'une somme de personnes, ce qui permet d'en contester le nombre, ou d'employer des termes affectifs comme « douleur », ou « peine », qui peuvent aussi bien qualifier le vécu des Turcs tués pendant les combats durant la Grande guerre. La transformation d'un peuple en une somme de personnes, permet à la Turquie de contourner la question de sa responsabilité d'Etat.  Le Premier ministre turc tente de «contrôler les dommages» du centenaire du génocide sans rien lâcher sur sa position négationniste.

Propos recueillis par Tigrane Yegavian

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