jeudi 20 novembre 2014

Bilou


L'évoquer avec des mots m'est encore difficile. 
Pourtant, qui plus que lui, pourrait l'être ?
C'est sans doute le moment, aujourd'hui ; j'ignore pourquoi
mais il me faut l'inscrire maintenant dans les pages essentielles de ma vie.
Nous avions tous deux vingt-quatre ans quand le hasard (nommé Sophie, mon amie d'enfance) nous mit en présence l'un de l'autre.
Il revenait depuis peu d'Algérie, où l'avait appelé durant vingt sept mois "son devoir" militaire.


Il ne s'étendit jamais - même avec moi en qui il avait une confiance aveugle  - sur cette période et je ne sus jamais vraiment ce qu'il eût à vivre ; sinon qu'il gardât longtemps un poignard sous son oreiller ...
Il était la tendresse faite homme (à mon égard) ce qui ne l'empêchait pas d'envoyer paître ceux qu'il n'estimait pas.
Sa nature d'une droiture peu commune lui a évité les fréquentations douteuses - au reste, ses amis qui l'estimaient se rencontraient dans le milieu si particulier que constituent les travailleurs de la nuit, aux Halles "le ventre de Paris", puis à Rungis.
Je fus d'emblée la femme de sa vie, même s'il me fallut plus de temps pour répondre à ses sentiments.
La profession que j'exerçais alors, secrétaire d'une revue spécialisée du monde sous-marin, associée au Club Méditerranée, m'avait permis d'approcher le milieu "intellectuel" ouvrant des horizons nouveaux que les nombreuses lectures dont je me gavais me faisaient entrevoir.
Lui évoluait loin de ces sphères ; il avait les pieds plantés dans une réalité toute autre : celle d'une vie difficile physiquement - mais qu'il aimait : levé à 23 h pour naviguer toute la nuit dans le quartier des Halles  afin d'effectuer les achats nécessaires à l'entreprise familiale dans laquelle il travaillait ; de retour le lendemain à midi ...heure à laquelle nous nous voyions le temps d'un déjeuner pris ensemble, avant qu'il ne rejoigne le lit, pour sa nuit, tandis que je retournais au bureau. 
Il n'avait pas reçu de formation particulière : enfant, une méningite cérébro-spinale dont il avait réchappé l'avait tenu éloigné d'une scolarité normale - on croyait alors que ses capacités intellectuelles en avaient été altérées et l'on ne se préoccupât pas de tenter d'y remédier ...
Et pourtant ! Il développa une nature d'une profonde richesse instinctive : il "sentait" les tempéraments des personnes qu'il connaissait et ne se trompait pas sur leur valeur humaine. Sa sensibilité artistique était affinée : il aimait les musiques classiques que nous écoutions, appréciait tableaux et sculptures... enfant, il avait réalisé de menus objets taillés dans le bois...
Lorsque je répondis à son attente, je le présentai à mes parents - qui l'aimèrent. Un ami de la famille, un médecin, les mit en garde pourtant : "il n'a pas été éveillé ; il ne l'appréciera pas ..." avait-il prophétisé.
Il se trompa à cet égard, car je ne sais si l'on peut aimer aussi profondément, durant toute une vie, la compagne ou le compagnon que l'on s'est choisi, ainsi qu'il l'a prouvé.
Notre relation était faite d'amour, de tendresse, de confiance mutuelles. Jamais il ne s'opposa à l'un quelconque de mes choix, ni moi aux siens. Aucun rapport de force, ni de jalousie n'ont altéré cette relation fusionnelle mais empreinte de liberté et de respect des désirs de l'autre.  

Je ne l'ai jamais entendu se plaindre de son sort -  pourtant si injuste souvent. Il aimait la mer, aurait aimé vivre sur un bâteau - partir pour de longues périodes de pêche - cet attrait lui venait peut-être de son enfance passée, après sa maladie, auprès de son oncle par alliance,  armateur au Havre, qui possédait des navires de pêche en haute mer...
 Tous ses amis l'estimaient, en raison de cet humour bon enfant qu'il montrait souvent, sa grandeur d'âme, sa loyauté, sa simplicité, son bon sens et surtout, son courage !

Enfant, sa famille l'avait surnommé "Bilou" - plus tard ses amis l'appelèrent "Bill" 
Nous avons partagé une vie pleine d'aléas, de difficultés, mais de bonheur quand même, que deux magnifiques enfants ont enrichie - dont il serait si fier aujourd'hui.
 Il n'a jamais failli à l'amour qu'il me portait, contrairement à moi (un bref chapitre dont je ne suis pas fière)
 Mais c'est main dans la main que nous avons parcouru notre chemin jusqu'au bout.

        

10 commentaires:

  1. Mon dieu Dzovinar, quel bel hommage rendu à l'amour d'une vie.
    C'est simple et vibrant à la fois, émouvant et gai aussi.
    Et quelle jolie mariée tu fais.
    Une relation empreinte de liberté, de confiance et d'amour, voilà ce que je retiens.
    Et puis aussi la franchise et l'humour, qui permettent de franchir tous les obstacles et les différences.
    Il suffit juste de vouloir et de comprendre.....
    Batchigs Dzovinar et que son souvenir à travers tes enfants te permette de vivre avec lui pour toujours .
    Belle journée

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    1. Cela fera quatorze ans qu'il est parti. On pense que le temps adoucit le chagrin de la perte - c'est vrai - mais quand les souvenirs reviennent à la surface, un jour ou un autre, on se rend compte que le chagrin et les regrets sont toujours aussi vifs.
      Tu ne me dis pas si tu vas bien ? Je t'embrasse.

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  2. On devient aussi
    le fruit de ce qu'à été l'autre
    et cela est bien...

    Amicalement

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  3. Une belle histoire... d'amour, Dzovinar, à laquelle je penserai en te revoyant.
    Je t'embrasse bien fort.

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  4. Merci maman d avoir dit tout haut l homme simple et amoureux de sa femme qu il était...car cela peut faire peur d être aimé de la sorte sans doute...peut même être un poids aussi, celui de se dire...sans moi que deviendrait- il? Ou...j étouffe. ..mais il est tellement rare qu un homme aime sa femme inconditionnellement. ..comme ce fut le cas...que ça mérite d étre dit !
    papa je t aime et tu nous manques

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  5. Ce fut un être dont l'authenticité n'a pas échappé à ceux qui ont pris la peine de le connaître, nouant ainsi des amitiés profondes.

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  6. En regardant ta photo sur ta page, j'ai su que c'était ton mari.
    Je suis heureuse que tu ai pu vivre un tel Amour, qui a fait de toi cette mère et femme que j'aime tant. Même sans que nous nous soyons rencontrées.
    Je ne connait pas d'homme qui ai eu autant d'intelligence de cœur et d'esprit, afin d’insuffler à sa famille la force de parler ainsi des années après.
    Je regrette de ne pas l'avoir connu, je lui aurai dit: Grand merci Monsieur BILOU.
    Danielle Chéchirlian.

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    1. Danielle ! Si nos chemins s'étaient croisés au cours de ces années, si nous avions été - déjà - des amies, oui, vraiment, tu aurais aimé sa gouaille parigote - car c'était un vrai titi parisien, dans le meilleur sens du terme : courageux, généreux, sincère et authentique, qui ne s'embarrassait pas de considérations superflues qui entravent parfois les relations humaines.. Merci chère Danielle de l'avoir compris. Batchigs

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